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ROUGE ET VERT : LE JOURNAL DES ALTERNATIFS
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Édito du numéro 65 (402) - 31 décembre 1999

GOUVERNEMENT JOSPIN : ÉVITER A TOUT PRIX "LE BOGUE DE 2002" ?

 

Depuis la législative de 1997, le gouvernement Jospin, dit de gauche plurielle, a, jusqu'ici, su habilement surfer sur les contradictions inhérentes à sa politique. Porté au pouvoir par le rejet massif de la majorité de droite précédente c'est-à-dire finalement par les effets du mouvement social de 1995, le nouveau premier ministre commencera dès après son élection par donner son aval au pacte de stabilité monétaire européen. En effectuant ainsi un signe de modération «réaliste» en direction des tenants du libéralisme, rendus inquiets par le changement de majorité parlementaire en France, il acceptait de limiter son action dans un cadre de contraintes fortes d'austérité budgétaire. 

Les 35 heures, mélange symbole des conquêtes sociales de la gauche et d'aspirations profondes à plus de temps libre, ont pu servir de rideau de fumée à cette première décision politique. Dans le même temps la très médiatique bataille de la privatisation d'Air France, s'achevant par la démission de son PDG, a permis au gouvernement de se faire une belle âme à peu de frais en limitant cette privatisation à une "simple ouverture limitée du capital". De même à la SNCF, où la prise en charge par l'État d'une partie de la dette de celle-ci n'a pas remis en cause la politique "finement poursuivie" de séparation des infrastructures (Réseau Ferré de France) de l'exploitation, qui va conduire inexorablement à la concurrence ouverte et sauvage entre entreprises ferroviaires au niveau européen. 

Cette ambivalence politique est au centre du fonctionnement gouvernemental. La mise en oeuvre des 35 heures en est un bon exemple. S'appuyant sur les aspirations des salariés et développant des politiques publiques volontaristes en matière de création d'emplois dont les effets néo-keynesiens sont incontestables, le gouvernement Jospin réussit le tour de force d'apparaître comme un rempart vis à vis de l'intransigeance du MEDEF, tout en permettant, de fait, à travers les éléments de flexibilité contenus dans les accords 35 heures signés, de démanteler des pans entiers du code du travail. Les deux lois Aubry seront ainsi adoptées sans que s'exprime véritablement une mobilisation des salariés. Et le gouvernement s'apprête à gérer de la même manière le dossier des retraites.

Pris par surprise pendant l'hiver 97 par le mouvement des chômeurs, Jospin réussira les années suivantes, par des mesures prises opportunément, à contenir les dynamiques de mobilisation sociale en oeuvre. Seul, peut-être, le mouvement national des sans-papiers, régénéré d'ailleurs par des déclarations péremptoires du premier ministre et de son ministre de l'intérieur., aura réussi à faire sortir le gouvernement de sa maîtrise calculée des mobilisations.

Aujourd'hui, poussée notamment par le nouveau marché du multimédia, une certaine reprise permet certaines formes de décrue du chômage. Et malgré l'aveu d'impuissance du premier ministre au moment de l'affaire du nouveau plan de licenciement Michelin, le gouvernement ne craint pas désormais d'agiter la perspective du chômage zéro à l'horizon d'une dizaine d'années sans pour autant s'interroger le moins du monde sur sa politique. 

Les salariés quant à eux s'interrogent. La généralisation de la flexibilité et de la précarité est passée par là. Les sondages vis à vis de la politique gouvernementale expriment clairement cette réalité. Si une majorité de salariés ne souhaite pas remettre en cause le gouvernement, elle considère cependant que le gouvernement ne va pas assez vite ni assez loin dans son action.

Depuis ces derniers mois cependant, des actions, parfois dures, se développent dans les entreprises autour des 35 heures, quelquefois lors de la mise en oeuvre concrète des accords signés. 

Les mobilisations autour de la conférence de Seattle ont trouvé dans l'opinion publique un soutien important malgré la volonté gouvernementale affichée d'aboutir à un « compromis réaliste» sur le commerce mondial. L'échec de cette conférence est aussi particulièrement significatif de cette évolution. 

Le naufrage du pétrolier Erika, vingt ans après l'Amoco Cadiz, démontre aussi s'il en était encore besoin que la régulation du transport maritime en Europe n'a pas avancé d'un pouce, lorsque les principaux groupes pétroliers européens continuent d'affréter au plus bas prix quelles qu'en soient les conséquences écologiques et sociales.

Face à ces évolutions, les talents d'équilibriste de Jospin suffiront-ils à masquer sa politique d'accompagnement du libéralisme jusqu'à l'élection présidentielle, ou bien l'amorce du changement de perception des enjeux politiques et sociaux que l'on perçoit depuis quelques mois forcera-t-il le gouvernement à clarifier sa politique ? Même s'il est encore trop tôt pour le mesurer, il s'agit bien dans les débats et les mobilisations de peser en ce sens.

Guillaume LOUIS

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