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ROUGE ET VERT : LE JOURNAL DES ALTERNATIFS
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Édito du numéro 139 (476) - 19 octobre 2001

AU-DELÀ DES FRAPPES

 

La deuxième semaine de l'offensive anglo-américaine place au premier plan les interrogations sur l'objectif poursuivi. La régularité et la massivité des frappes contrastent avec le fait que les cibles militaires sont limitées. L'Afghanistan fait partie des pays dont le PNB par habitant n'atteint pas 1000 dollars. Les voies de communication, terrestres et aériennes, y étaient par conséquent très peu développées avant même le basculement dans la guerre, en 1979, l'éclatement du pays et l'enchaînement des destructions de toute nature. Le seul déploiement de son armada aérienne par les États-Unis en aurait assuré la paralysie. À côté des nombreux camps d'endoctrinement hébergés par les talibans, les bases militaires réelles comme celle des 3000 soldats du Mouvement islamique d'Ouzbékistan, au nord, ont été bombardées dès les premiers jours. On ne voit donc pas quelles cibles visent aujourd'hui les deux aviations, dont les pilotes auraient désormais la charge de sélectionner eux-mêmes le point d'impact de leurs bombes. 

Au plan politique, l'objectif apparaît tout aussi incertain. Ayant misé il y a cinq ans sur les Talibans, les Américains redécouvrent, sitôt affiché leur objectif de les renverser par les bombes, l'héritage de vingt ans de conflits armés. A l'échelle de l'Afghanistan, aucune solution politique stable ne paraît devoir voir le jour à l'arrêt des salves de missiles. Pire, la croisade et le " choc des civilisations " voulus par Bush ont accéléré les lignes de tensions et de fractures dans une région qui n'en manque pas. C'est maintenant à l'échelle de l'Asie centrale que se joue l'enlisement diplomatique et militaire des États-Unis. Isoler et détruire Al Quaida et Ben Laden n'est plus qu'un des paramètres des décisions américaines, moins de quinze jours après l'engagement de leur guerre de représailles. 

Puissance de feu et hégémonie mondiale - manifestée par le Conseil de sécurité de l'ONU lui votant le droit à la légitime défense - n'empêchent pas que la " pax americana " soit aujourd'hui plus lourde de dangers encore qu'hier. Moins parce que les attentats du 11 septembre ont fait plus de cinq mille victimes sur un territoire réputé inattaquable qu'en raison de la capacité des administrations américaines à manier le bâton en apprentis sorciers. 

Au-delà de la condamnation des frappes anglo-américaines, au-delà du rejet de l'alignement - souvent revendiqué - de toute une partie de la gauche française et européenne, nous étions dans la rue le 11 octobre parce que nous pensons qu'il faut apporter des réponses politiques à cet unilatéralisme américain, aux tragédies et aux menaces nouvelles qu'il porte. Le cynisme d'un Bush redécouvrant le droit des Palestiniens à un État huit ans après l'accord de Washington souligne s'il en était encore besoin la nécessité d'agir pour que notre gouvernement et l'Europe prennent d'autres engagements, mènent d'autres actions en faveur de la paix. 

Le sommet informel des Quinze à Gand débattra de la situation internationale, avant d'éventuelles décisions au sommet de Bruxelles, le 14 décembre. Le succès des manifestations allemandes et surtout italiennes invite à inscrire cette question de la paix dans la préparation du rendez-vous que forces syndicales, mouvements de contestation et forces de gauche se sont fixé en Belgique en fin d'année. 

Eugène BÉGOC

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