TRIBUNES LIBRES
     
 
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Droite 31 janvier 2005

Un néo fascisme? Non. Mais...


Comparer Bush et Sarkozy, envisager un néo-fascisme, c'est audacieux ; ce serait même dangereux si l'on s'en tenait à des analogies sommaires. Et pourtant !

Les conditions politiques, économiques, sociétales, idéologiques qui ont débouché sur le fascisme et le nazisme sont dépassées. Cela ne met nullement les peuples à l'abri de nouvelles formes de dominations, de tyrannies. La mondialisation du Capital se traduit par de graves régressions des droits politiques et sociaux. Cette détérioration des rapports sociaux, encadrée et même très souvent amplifiée, par les institutions, ,débouche sur une profonde crise de société. Les formations sociales, les représentations collectives, issues du siècle dernier, se défont. En l'absence d'une vision claire et crédible des changements radicaux qu'appellent les mutations actuelles, la précarisation, la marginalisation de pans entiers de nos sociétés ont pour conséquences le repli sur des comportements individualistes, sur des consommations compensatoires voire ostentatoires. Dans ces conditions, le délitement des formes antérieures de socialité favorise le retour de l'irrationnel, la montée des mysticismes, des fondamentalismes, des racismes. Ces identités de substitution servent ainsi de justification à la mise en place d'un appareil sophistiqué de surveillance et de répression, national et mondial, par ailleurs très utile pour le maintien de l'Ordre.

Sous cet angle la comparaison Bush-Sarkosy prend sens. Ni l'un, ni l'autre ne tentent de dissimuler que le compromis keynésien est fini. Sans état d'âme, ils favorisent la réduction ou en tout cas la stagnation du niveau de vie du plus grand nombre, ils mettent à mal les dispositifs de protection sanitaires et sociales. Dans le même temps ils multiplient les cadeaux fiscaux pour les possédants et les aides financières ou politiques aux trusts. Cela ne manque pas de se traduire par des révoltes, des "incivilités", dès lors on accroît la rigueur des tribunaux, on ouvre de nouvelles prisons. Il faut que les nouvelles classes dangereuses se tiennent à leur place dans les ghettos qui leur sont affectés. Il ne suffit pas à la droite dite libérale de criminaliser la pauvreté il faut aussi la stigmatiser. Et là il faut reconnaître que la couleur de la peau, le nom ou l'accent sont des signes bien utiles pour que ce sous-prolétariat soit facilement identifié, par les policiers, les juges et les patrons et aussi par les imbéciles. La manœuvre est parfaite lorsque les circonstances historiques ou politiques permettent de désigner un ennemi d'autant plus inquiétant qu'il est omniprésent. Ce fût la criminelle accusation des nazis contre les juifs, n'est-ce pas aujourd'hui la tentation de l'illuminé qui siége à Washington à l'encontre des musulmans, arabes notamment ? Les apparences de la représentation démocratique s'estompant, en opposant le "eux" et le "nous" un consensus relatif peu se constituer autour du drapeau.

Sarkosy ne se distinguerait-il pas ici de l'exemple états-unien ? N'a-il pas favorisé, comme bien d'autres ministres de l'intérieur avant lui l'organisation et la francisation du culte musulman ? C'est là une vieille méthode de police, mieux vaut reconnaître et encadrer certains groupes hétérodoxes que d'ignorer leurs pratiques. Mais cette politique doit être replacée dans une tentative plus générale de " réformer" les lois sur la laïcité, de dialoguer avec les églises, de leur donner une fonction accrue de "corps intermédiaire", d'appuyer donc leur capacité d'encadrement social. Sarkosy ne va pas jusqu'à ouvrir ou clore ses discours en se référant à un dieu, mais il donne une importance croissante aux "valeurs" dans lesquelles les couches les plus traditionalistes peuvent se reconnaître.

Le discours et les mesures qui l'illustrent tentent ainsi de trouver une solution - provisoire n'en doutons pas - à la crise de la démocratie représentative, à la réduction tendancielle de la base sociale de ces régimes. En France, sous la III° et la IV° République les gouvernements de centre droite et de centre gauche qui se succédaient, pouvaient toujours compter sur la boutique et la ferme. Dans leur majorité ces couches moyennes étaient attachées à la propriété et hostiles aux grèves et autres troubles. Dans la nouvelle phase du capitalisme, l'échiquier social s'est profondément transformé. Dans la grande bourgeoisie, les financiers ont complètement supplantés les industriels mais pour tous, l'aréne est mondiale. Entre cette sphère déterritorialisée et les bourgeoisies allogènes, les intérêts souvent divergent et les contacts se distendent. Certains, politiciens ou sociologues, ont cru à une "moyennisation" de nos sociétés, à la formation d'une nouvelle classe moyenne minorisant le poids de la classe ouvrière et garantissant ainsi la stabilité des institutions politiques. Or, les ouvriers et les employés n'ont nullement disparus, même si les métiers ont changé. La grande différence c'est l'émergence d'un ensemble de métiers très divers, exigeant tous une culture, Ces nouvelles couches intermédiaires constituent un ensemble disparate, dont la culture - dans les deux acceptions du terme - ne se réfère plus nécessairement au profit. Elles sont sensibles aux contradictions sociétales ou écologiques, quelquefois révoltées mais pas révolutionnaires, anti-libérales plus qu'anticapitalistes. La coalition de toutes les forces bourgeoises dans un projet plus réactionnaire que conservateur est alors la seule réponse compatible avec le maintien de la démocratie, mais c'est une démocratie très formelle.

La prédominance des pouvoirs économiques- capitalistes-, l'internationalisation des institutions politiques, rendent de plus en plus illusoires les débats et les décisions des assemblées représentatives. Comme chacun le sait maintenant, les débats des conseils d'administration des multinationales, des clubs où ils se retrouvent, surdéterminent bien souvent ceux des Parlements. Et ce sont des instances internationales, publiques ou même privées, qui assurent la mise en forme légale ou contractuelles de leurs décisions. Les Chambres et les partis, ne sont plus les lieux ou se confrontent et s'organisent les intérêts des couches et des classes sociales. La désaffection de l'électorat ne fait qu'entériner cette perte de substance de la démocratie de représentation. Gouvernements et appareils d'Etat, non sans raisons, s'inquiètent de la délégitimation progressive qu'ils subissent. En France, De Gaule, en associant nationalisme et paternalisme avait su redonner une assise large à des institutions menacées. La recette ne fonctionne plus. La menace qui pèse sur Chirac, d'un désaveu par ses propres partisans, en est le témoignage. Juppé et plus encore Sarkosy se font pour cela, les champions d'une contre-réforme vigoureuse. Ils peuvent ainsi satisfaire les grands patrons qui veulent constamment accroître leurs marges bénéficiaires et leurs petits confrères qui ne peuvent se maintenir qu'en pressurant les salariés . En y ajoutant quelques spéculateurs, quelques nostalgiques de la puissance nationale et coloniale, il y aurait de quoi assurer une majorité à la droite et porter au pouvoir des hommes à poigne. Il y a des obstacles sur ce chemin.

Nous sommes entrés en France dans une situation curieuse. Une campagne électorale de quelques années s'ouvre. Or le meilleur argument de la gauche semble être la politique présente de la droite. Mais réciproquement le meilleur argument de cette droite sera la politique passée de cette gauche ! Sans préjuger des réponses et des pratiques que devraient adopter les forces alternatives pour ces prochaines années, car elles réclament un bilan et une réflexion spécifiques cette analyse conduit néanmoins à avancer trois propositions :

- Le mouvement altermondialiste est un nouveau moment du processus de déconstruction - reconstruction des forces sociales et des institutions politiques. On peut plus dire qu'il faut "aller du local au global". Cette pratique défensive a nourri la résistance et permis le développement de la critique et de la contestation. Se voulant concrète et immédiate elle est souvent tombée dans le minimalisme. Elle n'a pas évité l'intégration au marché, ni troublé les équilibres majeurs du système. Il faut maintenant aller plus loin, constamment associer "le local et le global". Nos initiatives, nos perspectives sont tributaires de ce qui se passe à Porto Alegre et à Mumbaï., au Chiapas et au Vénézuela. Les manifestations contre l'agression états-unienne en Irak ont eu une dimension mondiale sans précédent. Cette dynamique est une condition majeure de la mise en cause du capitalisme mondialisé.

- La démocratie active dans ses formes et ses contenus divers, appelle nos initiatives, notre présence, notre soutien. Quand les grévistes et les chômeurs, les intermittents du spectacle et les chercheurs, confrontent leurs aspirations et leurs savoirs, quand des villageois se mobilisent pour maintenir des services publics, condition essentielle de sociabilité, il s'esquisse et s'expérimente une nouvelle culture démocratique.

- Dans la reconstruction qui s'ébauche , tant pour des raisons de force que de fond, l'alliance des salariés manuels et intellectuels, mais aussi des précaires et des exclus est impérative. Il faut notamment, de façon volontariste, retrouver ceux-ci dans les mouvements sociaux, mais aussi localement dans les espaces de contre-pouvoir et de solidarité. On ne peut pour cela, ni s'en remettre aux partis de gauche, ni faire l'impasse sur leur fonctionnalité pour une partie notable de ceux et celles qu'il faut rassembler.

Michel Fiant

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