TRIBUNE POLITIQUE INTERNATIONALE |
18 février
2003 |
LA GUERRE ARMÉE CONTRE L'IRAK
Au moment où j'écris ces lignes, l'attaque contre l'IRAK est programmée
pour le 17 mars, date qui circule au sein des marchés financiers. Cela peut être un peu avant ou un
peu après, peu importe.
Le texte adopté hier 17 février, par les exécutifs des pays de l'Union
européenne, peut bien apparaître comme un ralliement à cette attaque, puisque, pour la première
fois, le recours à la guerre y est explicitement évoqué. Du moins, le prétexte existe désormais.
Et ceci peut être dit, sans douter de la sincérité de l'opposition de l'Allemagne, la France et la
Belgique à cette attaque.
Jusqu'à maintenant, nous avons vécu cette triste histoire, sur le mode d'un
mauvais film américain, ces films qui, dès les premières images, nous disent déjà ce que sera la
fin, et qui, souvent, lorsqu'ils sont réellement mauvais, nous laissent deviner toute l'évolution
intermédiaire. Nous savons, déjà plusieurs mois, que l'attaque par "la plus grande armée
du monde" (Bush) aura lieu, et que, outre la préparation logistique, toujours très soignée par
les Américains, seul manquait la construction du prétexte, les fameuses preuves de la détention
d'armes massives, toute personne dotée d'un minimum d'intelligence sachant qu'il ne s'agit en effet
que d'un pur prétexte.
D'ailleurs, les Américains, s'ils l'avaient pu, auraient certainement pratiqué comme le fait souvent
la police : en déposant, dans l'appartement du futur arrêté et condamné,
les armes qu'on lui reprochera de posséder. Mauvais films américains, qui, on le sait, se font idéologiquement en
fonction de l'apologie d'un passage biblique, car la morale de la "happy end" est toujours, ou presque,
enrobée de cette référence, ouverte ou latente : Dieu contre le Diable, le Bien contre le
Mal.
L'évolution intégriste des responsables placés aux plus hauts niveaux de l'administration
américaine ne fait que renforcer et radicaliser ce trait. Peu de choses séparent désormais la pensée d'un
Bush de celle des sectes protestantes.
Néanmoins, dans ce scénario écrit d'avance, et dans toutes les manipulations assez grotesques qui en
découlent, j'avoue avoir été favorablement surpris par l'attitude des
gouvernements allemands, français et belge. On savait que, pour des raisons assez sordide d'ailleurs
dans le cas de la France, ces États étaient en désaccord avec l'attaque militaire, "contre la
guerre", comme on dit. Mais je n'aurais pas pensé qu'ils auraient le courage de s'opposer
frontalement aux États-Unis et à la Grande Bretagne, et de le faire clairement, même s'il reste possible
qu'au tout dernier moment ils se rallient à la guerre (ce à quoi que la déclaration d'hier ouvre
désormais la voie).
Il existe néanmoins une certaine hypocrisie dans l'usage du vocabulaire.
Car la question n'est pas de savoir si la guerre aura ou non lieu, mais si
elle va entrer dans une nouvelle phase.
La guerre contre l'IRAK n'a pas cessé un seul instant depuis la guerre du
Golfe : embargo,
bombardements, appuis aux Kurdes, pénétrations latérales, encerclement
progressif, sans parler des dimensions proprement idéologiques, qui, dans le nouveau régime de guerre,
ont une importance considérable, la guerre a déjà commencé. Elle est même déjà bien avancée.
Et elle a déjà tué, affamé des centaines de milliers de personnes et largement détruit une économie.
Ce dont il est question, ce n'est pas de savoir si la guerre aura lieu,
mais si elle va désormais entrer dans une phase d'attaque directe et se voulant définitive. Phase qui
permettra, aux États-Unis et à leurs fidèles alliés, d'occuper directement le territoire
irakien, de s'y implanter fortement et durablement, et d'y installer un gouvernement "fantôche"
(cette vieille expression n'a jamais été aussi juste), dont la composition est déjà constituée depuis les
discussions menées à Londres au sein des factions d'opposition à Hussein.
Reste l'essentiel. Et l'essentiel a été le formidable mouvement de mobilisation contre la guerre du
samedi 15 février. Grand moment, moment inédit, tournant peut être. Grand
moment, car pour la première fois, avec cette ampleur, un peuple-monde, pacifiste, a, non
seulement témoigné de son opposition, mais exercé un véritable pouvoir, et pris conscience qu'il le
détenait. Car ce n'est pas la première fois que des manifestations ont lieu. Mais c'est la première
fois que, ayant lieu le même jour, sous la même orientation, dans plusieurs grandes villes du
monde, et avec l'ampleur que l'on sait (en particulier en Italie, pays où il commence à se passer de
considérables transformations dans l'opinion publique et son comportement), tous les
médias ont du dire : les gouvernements ont été ébranlés. Et donc : un pouvoir a été exercé.
Voici peut être la grand nouveauté : la naissance d'un nouveau pouvoir.
Pouvoir de penser et d'agir, d'influer directement sur le cours du monde.
Car, quelle que soit la sympathie dont on peut et doit entourer des forums
comme celui de Porto Alegre (le Port joyeux, bien nommé en l'occurrence !), ils n'existent pas
comme exercice d'un pouvoir, mise en mouvement d'une stratégie d'émancipation, portée au niveau
où les problèmes majeurs se situent désormais : la planète. Voici peut être la vraie nouveauté, celle qui échappe totalement au mauvais
film américain que nous subissons depuis des mois. Espérons le de toutes nos forces.
Philippe ZARIFIAN