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ROUGE ET VERT : LE JOURNAL DES ALTERNATIFS
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Article du numéro 189 (524)

PAC : une très mauvaise réforme



Après avoir tenté de faire reporter la réforme de la PAC jusqu’en 2006, la France a finalement accepté les propositions Fischler à quelques nuances près : pas de baisse des prix indicatifs des céréales et de la viande bovine, découplage partiel au lieu d’un découplage complet.

Mais l’essentiel n’est pas là. Contrairement à ce que titre « le Monde », la France ne s’est pas ralliée « à une réforme en profondeur de la PAC » (p. 6, 27 juin), ou encore moins d’une « révolution » (p.1). Il ne s’agit pas non plus « du début d’une nouvelle ère » comme le prétend la Commission. Si « révolution » il y a eu, c’est en 1992 lors de l’accord entre l’UE et les USA, accord préparatoire à celui de MARAKECH créant l’OMC, qui supprimait le fondement de la PAC : « la préférence communautaire ». Cette réforme de 2003, comme celle de 1999 (accord de BERLIN), en est le prolongement, sur 2 points principaux : découplage et gestion du secteur laitier.

Découplage : voila bien un élément de la réforme qui peut faire débat. « Découpler » une aide revient à ne plus la lier à un niveau de production. Ce type d’aide, moins perturbateur du jeu de la concurrence (principe de base de l’OMC), que celui lié au volume produit, est donc mieux accepté par cette organisation. Ainsi l’UE arrive à CANCUN en meilleure position. Les organisations professionnelles étant en majorité opposées au principe du découplage, la France a obtenu le découplage partiel, qui nous promet de belles circulaires d’application.

Partiel ou total le découplage fait débat.

Ce découplage répond à deux logiques, celle de l’OMC de ne pas fausser la concurrence entre pays et celle de l’UE de satisfaire les règles de l’OMC en permettant tout à la fois une meilleure adaptation des productions aux conditions de marché et un meilleur respect de l’environnement et de la qualité. A cela on peut répondre que la capacité concurrentielle d’un pays, d’un groupe de producteurs, dépend, notamment en matière d’échange des produits agricoles de base, d’un très grand nombre de facteurs. Surtout, la baisse artificielle des prix imposée en dessous des coûts de production perturbe bien davantage les marchés et les économies des pays du Sud que des aides non couplées même si celle-ci sont à critiquer.

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La position européenne est également largement fallacieuse.

Il ne peut y avoir d’adaptation satisfaisante au marché sans maîtrise de l’offre. De plus, le découplage peut faciliter le comportement spéculatif des grosses exploitations assurées d’un revenu minimum par les aides automatiques. En matière de respect de l’environnement ou d’objectifs de qualité, l’intérêt du découplage n’est pas évident. Pour les productions de grande culture c’est le niveau de prix qui est l’élément déterminant du rendement recherché et donc du niveau d’intensification de la terre (quantité d’engrais, de pesticides). Certes l’octroi de ces aides découplées est conditionné au respect de certaines règles en matière d’environnement, de sécurité alimentaire, de bien être animal. Ces règles présentent quelques avancées par rapport à la période du laisser-faire productiviste, mais en favorisant la mise en place de « l’agriculture raisonnée, portée par l’industrie et par la FNSEA. Elles ne relèvent pas du tout d’une réelle éco-conditionnalité et encore moins socio-conditionnalité qui supposent une remise en cause de l’actuel modèle de développement.

Ces aides ne dépendent pas du maintien de l’emploi, mais des capacités (N d’ha en céréales, cheptel) de production, constituées auparavant. De plus, elles nécessitent de nombreux contrôles des pratiques des agriculteurs, en parallèle avec ceux découlant du découplage partiel . On note aussi que la réduction des aides par exploitation est très modeste et qu’aucun plafond d’aide par emploi n’est introduit.

Ce découplage éloigne encore la rémunération du travail de l’acte productif et modifie considérablement le métier paysan. Il amplifie le clivage entre les productions qui bénéficient d’aides plus ou moins découplées (céréales, oléagineux, viande bovine et ovine, lait prochainement) et les autres. Il crée deux catégories de terre (les primées et les autres), favorisant la spéculation et les rentes.

Dans le même temps, les baisses des prix à la production, débutées en 1992 pour les céréales et pour les viandes bovine et ovine, à venir pour le lait, compensées par des aides découplées ou non, ne se répercute pratiquement pas sur les prix à la consommation. Ainsi, les industries et la distribution peuvent financer leur développement tout en engrangeant des profits confortables, à l’intérieur de l’UE et à l’échelle mondiale.

Les producteurs de lait font aussi les frais avec cette réforme conforme aux règles de l’OMC : si les quotas sont juridiquement maintenus jusqu’en 2014, leur hausse au delà des débouchés comme la réduction des modalités de soutien, vont entraîner une baisse des prix à la production particulièrement néfaste pour les producteurs les moins performants et… la suppression de ces quotas plus tôt que prévu. Ainsi cette réforme met à mal le seul secteur où des outils de régulation permettent un prix rémunérateur.

Cette réforme ouvre aussi un autre débat : les règles de découplage partiel, comme les mesures relevant du second pilier (de « développement rural » qui regroupe les mesures ne relevant pas de la gestion des production) donnent davantage de pouvoir aux états membres. Certains y voient un démantèlement de la PAC. On aussi y voir une possibilité d’adaptation aux conditions de chaque pays. A suivre.

Cette réforme est-elle au moins favorable aux pays du Sud ?

La réduction des montants de l’intervention, notamment pour le beurre et la poudre de lait peut réduire la pression à l’exportation, mais celle-ci sera renforcée par la baisse du prix du lait et la hausse de quotas. De plus on note que le sucre a encore échappé à la réforme de son régime très protecteur, au moins jusqu’en 2009. A cette date, dans le cadre de l’accord « tout sauf les armes », le sucre des 49 pays les plus pauvres (les PMA) entrera dans l’UE en franchise de droit de douanes. Faudra-t-il encore que ces pays puissent produire et exporter ce sucre en quantité significative et sans déstructurer davantage leur économie. Ce cas du sucre, la politique européenne étant fortement critiquée par les pays comme le Brésil et l’Australie, démontre à l’envi la complexité de la situation, rendue insupportable pour de nombreux pays par le rouleau compresseur de l’OMC.

Une autre politique des échanges alimentaires s’impose avec une remise à plat de toutes les règles et la reconstruction d’autres règles dans le cadre du respect du droit à la souveraineté alimentaire. Finalement, le grand défaut de cette réforme de la PAC est de nous éloigner encore davantage de la PAC souhaitée par les forces alternatives : une PAC de la souveraineté alimentaire et du développement soutenable. Cet échec nous montre la difficulté de ce combat, même si de nombreuses forces se regroupent autour des plates-formes française ou internationale (www.cfsi.asso.fr/actualité). Les rencontres du LARZAC et le FSE doivent permettre de renforcer la lutte sur ce terrain.

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