LA GRANDE ALLIANCE PRECAIRE : UNE MACHINE DE GUERRE MULTITUDINALE CONTRE LE
BIOPOUVOIR IMPERIAL
source : http://www.globalproject.info
Traduit de l'Italien par Ludo, HNS-info
Discontinuité : désobéissance et nouveau cycle
Il était annoncé depuis longtemps le soit-disant épuisement de l'expérience
du Mouvement des Désobéissant-e-s ...
L'assemblée du 21 novembre lancée par les centres sociaux occupés,
Morion [2] et Rivolta - au lendemain du séminaire organisé par Global
Project - a constitué l'occasion idéale, non pas pour officialiser qui sait
quelle « dissolution » (nous n'avons jamais été des aficionados des pires
liturgies socialistes, imaginez-vous maintenant) mais bien pour raisonner
ensemble à d'autres frères et soeurs, camarades, sur notre actualité : ce
que nous ne sommes plus, ce que nous sommes devenus et ce que nous
deviendrons.
Mais « épuisement », « fin », « changer de mode », ..., sont des formules
totalement inadéquates pour exprimer le processus de transformation de nos
communautés.
Une expérience vraie voilà ce qu'a été l'expérience des Désobéissant-e-s,
dont l'histoire n'a pas besoin d'être mise devant un congrès - et, qui sait,
banalement, pour changer de nom. Car toute expérience, si elle est vraie,
devient une part irréductible de la subjectivité individuelle et collective
allant s'hybrider de toutes les autres expériences de vérité et de libertés
traversées par les mouvements. Nous avons été et restons désobéissant-e-s,
tute bianche, autonomes et tant d'autres...
Chaque fois qu'une expérience a été menée jusqu'au fond d'elle-même, ou
mieux jusqu'à sa nécessité, elle ne disparaît pas, elle va potentialiser le
nouveau cycle, les nouvelles subjectivités : le problème, en fait, n'est
jamais celui de clore une expérience mais d'en commencer une nouvelle ; et
non pas avec la même intensité, mais possiblement avec plus de puissance, de
richesse et de liberté.
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Nous sommes tous ces noms à la fois et d'autres viendront s'y ajouter même
si attention, un nom commun de la rébellion ne s'invente pas comme s'il
s'agissait d'un jeu de société ou d'une opération marketing ; en partie,
peut-être, mais surtout parce qu'il émerge de la propre force de
l'évènement.
La construction d'un mouvement, c'est-à-dire d'une puissance, est toujours
une expérimentation de composition de corps et d'intelligences, et comme
enseigne le philosophe de la démocratie absolue, c'est la qualité des
rencontres qui décide, à chaque fois, de la positivité ou non de la
composition. Nous avons rencontré de nombreux corps avec lesquels nous avons
tenté de composer une puissance désobéissante : certains, peu à dire la
vérité, se sont révélés négatifs ou tristes tant leur rôle se réduisait à
diminuer la puissance d'expression de tou-te-s les autres ; tant d'autres,
réellement, qui ont au contraire permis à la désobéissance d'être un grand
mouvement, une grande expression de liberté et de rébellion.
Pour ceux qui ont fait marche arrière, rappelés à la Maison Mère, il y en a
beaucoup qui ont continué et continuent à tenter d'être différent, à penser
différemment, à faire autrement. Et chemin faisant, on fait tant d'autres
rencontres et ainsi les corps changent, se métissent, deviennent autre tout
en conservant tout leur être. Pour cela, ou mieux, aussi pour cela, nous ne
retenons plus utile (si quelqu'un ne l'avait pas encore bien compris) la
pratique des « porte-parole », de l'auto-définition de Mouvement de quelque
chose qui n'a plus de raison de se représenter puisqu'il a dépassé la limite
de sa raison d'être : il existe désormais une société désobéissante qui ne
nécessite pas d'être représentée mais doit construire une nouvelle
institutionnalité de la multitude, exercer son propre droit à
l'appropriation, à l'exercice du commun.
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Aujourd'hui donc, à l'intérieur de la férocité de la guerre globale et
permanente, à l'intérieur de la tentative de l'Empire d'imposer, de toutes
parts, l'état d'exception, mais aussi à l'intérieur d'une énorme et globale
tension à la résistance contre-impériale, tout en reconnaissant la
désobéissance comme une articulation ontologique de la multitude, nous
savons qu'est venu le moment d'appréhender le nouveau cycle de luttes, dans
lesquelles nous sommes déjà immergés, à partir du droit de résistance [3] à
savoir l'implication des forces subjectives à défense de tout ce que nous
avons accumulé en terme de conquêtes sociales et comportements diffus mais
aussi comme constituant de nouveaux communs posant avec détermination la
question de l'exode.
Exode de la guerre globale et permanente et de l'exploitation biopolitique,
exode de l'obéissance à un ordre injuste et assassin et de tout rappel à la
valeur présumée de la nation et de l'état, exode du commandement capitaliste
sur la connaissance, exode des usines sociales du malheur : paix, revenu,
libre circulation, Europe sont les revendications immédiates du programme
postsocialiste.
Le droit de résistance constitue une nouvelle épaisseur de chair vivante de
la multitude : flexible dans son articulation matérielle, capable de se
composer indéfiniment et d'exprimer de nouveaux types de relation mais
rigide dans l'expression du refus et dans les pratiques d'élargissement de
la démocratie.
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L'occasion sauvage : la Grande Alliance Précaire
Nous retenons que le lancement d'un nouveau cycle de luttes multitudinales
autour et au sein de la question de la précarité, s'il ne met pas fin à la
totalité des articulations des luttes contre-impériales, soit un facteur
déterminant pour désigner la production de nouvelle subjectivité à la
hauteur - vertigineuse pour certains aspects - de la phase actuelle de
conflit contre l'Empire et pour construire une démocratie absolue.
Notre parcours fait ensemble à d'autres réseaux et segments de l'insurgence
précaire italienne et européenne - l'Euromayday de 2004 et la reproduction
d'apparitions de San Precario [4] ont été des moments décisifs de ce
parcours - a effectivement crée un tissu commun formé par une multiplicité
de relations entre singularité et communauté qui reconnaissent dans la
rébellion à l'exploitation capitaliste néo-libéral l'élément de communauté
essentielle pour décider une alliance des nombreux. Une alliance qui
effectivement s'est créée dans la GAP, au départ de manière informelle mais
qui s'est révélée d'une inattendue force lors de la journée du 6 novembre
lors du Carneval romain ou plus précisément lors de l'exercice du commun
pratiqué au supermarché Panorama de Pietralata ou à la librairie Feltrinelli
de Largo Argentina.
La GAP pourrait être ainsi une de ces occasions qui permettent à la
multitude de s'organiser librement au sein d'un dispositif de lutte qui agit
autour et à l'intérieur des axes principaux du programme post-socialiste de
l'Europe biopolitique. Ainsi attribuer à la GAP le rôle de concurrent à la
GAD [5], semble quelque chose de réducteur et qui spécialement risque de
rendre subalterne, peut-être même de manière indirecte, l'initiative
autonome du précariat social à celle institutionnelle de la « Old Left » :
les rythmes du mouvement des précaires et encore plus ceux de la multitude
courent sur un plan temporel différent de celui des institutions de l'Etat
et/ou de l'Empire. Et lorsqu'ils se rencontrent, c'est plus en terme de
conflit, et, dans tous les cas, il n'en dépend pas : ni logiquement, ni
ontologiquement.
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Si, au contraire, nous regardons la GAP comme l'enchaînement d'énonciation
collective et comme une véritable machine de guerre, nous pouvons tenter, à
partir des trois mots qui composent cet acronyme, d'en dessiner les
contours.
Grand, le premier des trois mots, ne signifie pas affirmer compter sur une
quantité de sujets disponibles à se mobiliser ou encore faire référence à la
qualité des forces mobilisées mais c'est une indication d'espérance et de
puissance. Espérance pour la multitude d'affirmer matériellement, et donc de
manière extensive, son propre projet de libération ; puissance de la
multitude capable d'ouvrir biopolitiquement, et donc avec intensité, les
espaces matériels au sein desquels elle fait vivre le projet, ou en d'autres
mots, capable d'exercer le commun contre l'exercice du pouvoir privé/public.
Grand devient donc le troisième des mots.
Précaire, sur le papier le troisième, est en toute logique le deuxième car
il qualifie subjectivement la machine de guerre. Il regarde la dimension
d'une « politique de l'identité » adéquate à la multitude productive. Par
l'utilisation du mot « précariat », il y a la volonté d'indiquer une
condition commune, de laquelle dérive un désir commun, d'où une lutte
commune. Peut-être, la précarité indique-t-elle aussi la non linéarité de
l'agir biopolitique de la GAP, le non être fruit d'une dynamique
d'intergroupes mais d'un ensemble d'expériences singulières conduites à
l'intérieur de l'actuelle composition de classe portant non pas à la
(re)fondation d'un Parti ou d'une Organisation visionnaire, ou qui le
prétend, mais bien à la mise en commun de segments de parcours produisant un
savoir commun des luttes ; ces luttes pouvant devenir le moteur d'une
mobilisation multitudinale, diffuse et moléculaire, capable de produire des
évènements impactant au niveau molaire (infrastructurelle) sans jamais
tomber dans la présomption de l'autosuffisance « de groupe » et/ou dans
l'affirmation identitaire. La GAP, donc, ne peut être un Sujet Politique
mais un dispositif multiple, aussi agile que déterminé, produisant des
subjectivités qui agissent en réseau à partir des singularités et/ou des
communautés territoriales en en condensant les désirs et les forces pour se
confronter, avec la puissance adéquate, à la question cruciale de la
précarité de l'existence.
Le premier mot est alors celui qui réellement montre (et ne représente pas)
le fonctionnement machinal de la GAP : l'Alliance. Ou du moins l'est, si
nous ne sous-estimons pas les potentialités au niveau de l'innovation de
l'agir politique en commun et de l'allusion à la formation de machines de
guerre contre-impériales.
L'Alliance nous parle de construction d'un tissu de relations sociales et
politiques immanentes et pour cela in/stables et privées d'un centre de
pouvoir interne. Une vraie Alliance ne fonctionne pas sur la base d'une
discipline de fer ou d'une hiérarchie de pouvoir mais prend vie en présence
d'une Ethique partagée par de nombreuses subjectivités à savoir autonomie et
comportements communs, règles singulières et désirs communs, pratiques
subjectives et luttes communes ; l'unique affect de contrainte étant, ou
devant être, la solidarité entre les nombreux.
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Pierre Clastres a montré comment les alliances dans les « sociétés
primitives » servirent exactement à repousser la formation d'un Etat ou d'un
équivalent - à vous de choisir : le Parti, le Syndicat, ..., tout ce qui est
synonyme d'Unicité - et à permettre le déchaînement de la guerre des
nombreux contre toute formation stable de pouvoir, tant interne qu'externe.
A quoi sert, se demandait Clastres, passer une alliance entre communautés
autonomes si ce n'est pour mettre en commun les forces en présence d'ennemis
communs ? En bons sauvages, ce que nous sommes, nous devrions donc reprendre
la leçon primitive et l'actualiser en construisant cet espace commun au nom
de GAP.
Et pour le rendre fort, on a besoin de fêtes collectives, d'invitations
réciproques, de Streets Parades et d'espaces de parole partagée, d'actions
communes et de vocabulaires communs. Pour la rendre durable, il est
nécessaire de réactiver constamment l'Alliance, à savoir faire des choses,
ensemble et singulièrement. Et tout comme pour les primitifs de Clastres,
passer une alliance, pour les précaires, ne signifie pas signer un
« contrat » subordonnant les subjectivités. L'Alliance, en effet, n'est pas
une fin mais un moyen, dit Clastres, au travers duquel des communautés
autonomes peuvent obtenir le succès de leur entreprise commune. En d'autres
termes, la lutte est plus importante que l'alliance car elle en est
antécédente. Sans luttes, il n'y aurait pas d'alliance mais celle-ci est
nécessaire à l'exercice du commun et c'est exactement quand le commun est
menacé par la corruption que les alliances se rompent et/ou se renouvellent.
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Agir sur les précarités de l'Empire
Si précarité signifie, entre autre, une condition biopolitique marquée par
l'incertitude, par la discontinuité ou du moins par l'instabilité, nous
devrions chercher de la penser comme une condition ne s'arrêtant pas aux
rapports de production au sein desquels la multitude est contrainte de
remplir une activité de coopération sociale, mais comme inhérente au
commandement impérial.
En effet, si nous pensons à l'actualité, nous voyons, par exemple, que la
guerre voulant imposer un nouvel ordre en Irak rencontre chaque jour des
démentis sur sa volonté de paraître une guerre lisse, rapide et
immédiatement constituante d'une nation pacifiée.
Nous voyons, au contraire, que s'ouvrent continuellement des espaces de
crises, horizontales et verticales, dans l'espace tout ouvert mais strié de
l'Empire : luttes sociales contre l'assujettissement aux normes du travail
précaire, conflits pour l'affirmation de libertés, situées et globales,
révoltes disséminées contre la monarchie des Etats-Unis, continuel
renversement de sens de la sémiotique impériale, rupture et transformation
des noeuds administratifs au niveau des municipalités et des territoires.
Tout ceci et bien d'autres, montrent les lignes de précarité que présente,
malgré tout, le commandement impérial et qu'il ne réussit pas à surpasser
par la menace préventive de la destruction, au travers de ce qui est devenue
la forme politique essentielle à son commandement, à savoir la guerre. Le
capital global, sous-espèce impériale, ne réussit jamais à devenir
réellement universel, sa tendance à tout subsumer ne signifie pas qu'il
réussit à annuler toutes les singularités formant la multitude et encore
moins que l'exercice impérial du pouvoir soit vraiment absolu.
C'est exactement sur et dans ces failles, ces lignes de crises, ces
démontages du pouvoir que les mouvements multitudiniens peuvent et doivent
mettre toute leur puissance. Agir avec puissance, dans le sens de promouvoir
et développer le droit à la résistance - en tant que défense active de ce
qui a déjà été affirmé en termes d'acquisition de nouveaux droits de
citoyenneté, de liberté coopérative, de paix dans la justice, et même de
propriété commune - mais aussi dans le sens qu'en forçant ces lignes de
précarité du commandement, les mouvements peuvent ouvrir de nouveaux espaces
communs, espaces constituants ou mieux espaces d'innovation et
d'élargissement continuels de la démocratie en termes, cette fois-ci,
d'absolu.
Guerre pour personne !
Revenu pour toutes et tous !
Ludo
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